Samedi 5 septembre 1812, Mariette est toute heureuse ! Bientôt le 7 septembre ! Elle va aller à l'école… Enfin, c'est ce qu'elle pense…

En attendant le grand jour, elle rejoint Jeanne, son amie du même âge, la sœur de ce si beau Antonin. Les deux fillettes se précipitent vers le ru qui coule à travers le champ. Elles n’osent pas tremper leur pied dans cette eau si claire, un peu froide aussi. Alors, elles s’assoient sur le bord et regardent l’eau couler, couler, couler. Elles se racontent tout, toujours.
Lorsque Mariette dit à Jeanne son impatience d’aller à l’école comme ses trois grands frères, Justin, Pierre et Gabriel, Jeanne ne sait comme lui dire la vérité. Car elle sait, elle ! Elle a deux sœurs, Marie et Antoinette ; elles aussi y avaient cru. Elles aussi avaient été déçues, si déçue qu’elle n’ose dire la vérité à Mariette. Elle ne veut pas lui faire de peine. Il sera bien temps lundi !
Le soleil commence à se coucher, c’est l’heure de rentre à la maison. Mariette, comme tous les soirs, s’occupe à faire rentrer les animaux de la basse-cour ; les poules sont d’humeur joueuses et ne daignent pas prendre le chemin du poulailler. Mariette, tout aussi joyeuse, les poursuit et arrivent à ses fins. Elle rentre dans la cuisine toute marquée de terre ! Sa mère sourit, elle l’a vue ! « Laves-toi bien le visage et les mains. Ensuite, il te faut mettre la table ! ». Mariette, gentille enfant, acquiesce et obtempère.
8 heures du soir, enfin, les quatre hommes rentrent, épuisés de leur journée. Sébastien, le père, couvreur en paille, a eu très chaud sous le soleil, mais cette maison, rue de la Croix Beausset, doit avoir absolument son toit d’ici lundi, l’orage couve… Il dit à sa femme : « Gabriel ne pourra pas aller à l’école lundi, j’ai vraiment besoin de lui pour finir la toiture ! Quant à Justin et Pierre, le père HUTINET les attendra dès la sortie des classes afin qu’ils l’aident à nettoyer ses outils. » Lorsque le père parlait, tout le monde écoutait et, surtout, personne ne parlait. Il était inutile de discuter sa décision, c’est ainsi et pas autrement. Mariette n’ose donc pas demander ce qu’elle fera lundi… Il y a encore demain…
Le repas fini, Mariette aide sa maman à la vaisselle ; ceci fait, il est temps d’aller se coucher. Après avoir dit bonsoir à ses parents, Mariette retire sa robe, passe son bonnet, et saute dans son lit : matelas de paille et fine toile en guise de drap. Elle a de la chance, une toute petite pièce lui sert de chambre ; ses trois frères partagent la même. Les parents ? Ils dorment dans le lit-placard de la pièce à vivre.
La nuit est chaude et agitée : Mariette est dans la cour de l’école, elle est avec son amie Jeanne. Que du bonheur ! Et puis, la maîtresse leur a distribué un cahier et un crayon !… Le jour se lève et la réalité aussi : Mariette est dans son lit ! Mais ce n’est que dimanche, d’un bond, la voilà debout et s’habille avec rapidité : les poules ! Oui, c’est la tâche principale de Mariette à la maison, les poules, ensuite, s’occuper de la table et de la vaisselle avec sa maman. Parfois, elle l’aide à laver le linge et à l’étendre : c’est rigolo d’étaler les draps sur l’herbe, mais cela n’arrive pas souvent : une fois par mois, des fois encore moins…
C’est toute guillerette que la petite fille retrouve ses parents et ses frères ; ces derniers sont déjà prêts à partir avec leur père. Il faut vraiment finir cette toiture avant l’orage ! Il est à peine 7 heures et il fait déjà si chaud ! Débarrasser la table, ouvrir aux poules et au reste de la basse-cour et Mariette est libre… libre de vagabonder dans les champs, libre d’aller jusqu’au ru, libre… Demain sera une toute autre histoire : elle sera à l’école, elle sera à l’école, elle sera à l’école… Elle ne peut s’empêcher de chantonner une petite comptine inventée par elle : « Jeune Mariette, guillerette, Jeune Mariette, jeune élève… »
En fin de matinée, elle retrouve sa mère et l’accompagne pour porter le repas aux hommes : ils n’ont juste le temps d’une pause, il faut continuer le dur labeur de la charpente en chaume. De retour à la maison, la vaisselle, puis Mariette s’assois aux côtés de sa mère et l’accompagne dans ses travaux de couture : Mariette est fière, elle sait déjà coudre les ourlets. Ce travail minutieux, sa maman lui a appris il y a peu ; comme les boutonnières ! Là, Mariette a plus de difficulté mais elle aime ces moments partagés avec sa mère… Elle aimerait avoir une petite sœur mais, la dernière fois que sa maman a été enceinte, il y a à peine deux ans, le bébé est mort à la naissance, c’était une fille… Mais qu’elle aimerait avoir une petite sœur !
Vite, Mariette chasse ces idées tristes et pense à sa comptine : elle va aller à l’école demain ! Cependant, elle est très étonnée. Magdeleine, sa maman, ne lui a pas confectionné une robe pour l’occasion, ne lui parle pas de cette si belle journée, si importante… Que se passe-t-il ? Oh, sûrement que ses parents veulent lui faire une surprise !
L’après-midi s’écoule, doucement, il fait frais dans la maison, alors Mariette ne sort pas ! La chaleur dehors est insupportable ! De nouveau, rentrer les poules et le reste de la basse-cour, mettre la table, le retour du père et des frères, le repas, la vaisselle. Il faut faire vite, il faut vite aller au lit, demain, demain…
La fillette a du mal à trouver le sommeil : elle s’inquiète pour demain. L’école est juste dans la rue d’à côté mais, elle est petite, y aura-t-il assez de place pour toutes les petites filles ?… Est-ce que Jeanne sera avec elle ?… Elle finit par s’endormir mais son sommeil est très agité ; elle se réveille dès l’aube, excitée à l’idée de ce grand jour ! Vite elle se lève, sa mère est là, dans la cuisine à préparer le café :
- « Que fais-tu si tôt debout ? »
- « Je viens me laver et déjeuner, aujourd’hui est un grand jour ! » répond Mariette un grand sourire aux lèvres.
- « Que se passe-t-il donc de particulier aujourd’hui ? » questionne encore sa mère
La petite fille, un peu surprise, feint l’étonnement et pense que sa mère joue avec elle, la taquine… Alors, elle se débarbouille, s’habille, oh ! pas la nouvelle robe, celle de tous les jours, et se met à table. Ses frères sont déjà là. Gabriel a une mine un peu renfrognée : il sait, lui, qu’il ne va pas à l’école. Il sait, lui, qu’il doit aller aider son père ! Pierre et Justin, plus jeunes, ont la chance de pouvoir encore aller à l’école… Et Mariette sait qu’elle va les suivre…
La cloche sonne l’angélus de sept heures, son père et Gabriel se mettent en route pour le travail… La cloche sonne le coup de la demie de sept heures. Les deux garçons terminent de se préparer et… toujours rien pour Mariette ! La petite fille commence à s’inquiéter : et si elle ne pouvait pas aller à l’école, si ses parents ne l’avaient pas inscrite, s’ils avaient plutôt besoin d’eux à la maison, si, si, si… Le sourire quitte son petit visage ! De voir la joie de ses frères l’attriste encore un peu plus. Voilà, il est huit heures moins le quart, les garçons prennent leur sacoche, disent au revoir à leur mère et s’en vont à l’école !
Mariette, triste, s’assoit sur sa petite chaise à côté du fauteuil de sa mère et commence à pleurer : elle vient de comprendre qu’elle n’ira pas à l’école… Mais, pourquoi ???
Sa mère s’installe dans le fauteuil, prend Mariette sur ses genoux et lui fait un gros câlin :
- « Ne sois pas triste Mariette ! Tu voulais aller à l’école, hein ? Mais c’est ainsi, les gens pauvres ne peuvent pas mettre leurs filles à l’école. Il n’y a qu’une classe de garçons ! L’école pour les garçons c’est important ! Ils doivent savoir lire, écrire et compter ! Ce sont eux qui font vivre la famille ! »
- Là Mariette, presque en colère, dit à sa mère : « Mais, c’est injuste ! Toi aussi tu fais vivre la famille ! Tous les jours tu fais le ménage, les lits, la cuisine, le potager, les poules, la couture, et encore mille autres choses ! »
- « Tu as raison ma chérie, mais, mon travail, hormis la couture, ne rapporte pas d’argent ! Il ne compte pas ! »
- « C’est vraiment injuste ! Alors, je ne vais pas apprendre à lire ? Ni à écrire ? NI à compter ? »
- « C’est cela ! Ton père m’a un peu appris, je sais au moins signer mon nom. Mais, souvent, la femme ne signe pas ! De toute façon, les papiers, ce sont les affaires des hommes ! »
Mariette saute des genoux de sa mère et s’enfuit loin, loin, derrière la maison, juste au bord du ru. Là, ses larmes coulent, coulent, comme si elles devaient remplir le ru, presque sec à cette saison !
Ne t'inquiète pas petite Mariette, un jour viendra où les filles, comme les garçons, iront à l'école…
Ce texte a été publié pour la première fois le 15 décembre 2016 sur le blog de CanalBlog. J’avais abandonné l’histoire de Mariette, petite fille sortie de mon imagination…
J’ai décidé de reprendre ce récit qui nous emportera où le vent le désirera !