Ah la presse ! Il faut lire plusieurs journaux pour être sûre de trouver le coupable du délit et son complice…
Le 23 avril 1881, un certain MENOT, MENAUX, MENEAUX, prénommé Joseph, Victor, comparaît devant le Tribunal correctionnel de Paris, Chambre 4 ou 11. Selon que vous lisez les journaux Le Gaulois, La Petite République, le Voltaire ou encore l’Univers, les informations peuvent se recouper mais ne sont pas toujours d’accord sur les renseignements donnés sur les protagonistes… Après quelques recherches, les deux accusés sont Jules Victor MENOT, 28 ans, tailleur, et Amédée DÉNÉCHÈRE, 23 ans, gainier.

Le 17 avril 1881, jour de Pâques, au moment des vêpres qui réunissaient bon nombre de fidèles, Jean Victor et Amédée entrent dans l’église Saint Médard, à Paris. Ils n’ôtent pas leurs chapeaux… L’abbé VIGNERON leur demande de se décoiffer et ne reçoit qu’un refus. Alors, il ôte les chapeaux, mais les deux hommes les repositionnent aussi rapidement qu’ils étaient retirés. L’abbé fait appel au Suisse qui ne réussit pas mieux, ce dernier, ayant reçu l’ordre de les raccompagner à la sortie de l’église reçoit un coup de canne de Jean Victor, coup qui touche aussi l’abbé.
Les fidèles ayant appelé la police, les deux compères MENOT et DÉNÉCHÈRE sont vite arrêtés et emmenés au poste.
La presse relate ces faits à tour de bras en y allant chacun de son information scandaleuse. Le Gaulois, dans son édition du 24 avril 1881, est assez dur dans ses propos. Ce sont deux jolis messieurs que ces soi-disant libre-penseurs, et leur grossièreté à l’égard des prêtres et des femmes n’a d’égale que leur platitude devant les juges. L’article est signé Maitre A., le journaliste donne des informations sur Jean Victor MENOT qui est décrit comme un vrai sale type !

Jean Victor est marié et père de plusieurs enfants. Il abandonne sa femme pour vivre avec une fille dont il vient aussi d’avoir un enfant et il laisse ses deux ménages dans le besoin, à ce point que la concierge d’un de ses domiciles a été obligées de venir au secours de l’enfant nouveau-né pour lequel sa mère n’avait pas de quoi acheter du lait !
MENOT, comme son ami DÉNÉCHÈRE, est affilié à un tas de sociétés plus ou moins secrètes et il lisent beaucoup de littérature ordurière publiée par certains faiseurs dont le trafic lucratif consiste à attaquer la religion et les prêtres.
Cette version de double foyer concernant Jean Victor est déclinée dans beaucoup de journaux…
Qui est jean Victor MENOT ?
Il naît le 24 mars 1853 à Paris. Il est le deuxième d’une fratrie de neuf enfants. Le 21 mars 1872, toujours à Paris, il épouse Léontine Emilie Alexandrine STADELHOFFER, 17 ans, couturière. Cette union était sûrement justifiée par la naissance imminente de Juliette Victorine, le 6 mai ! Marie Claudius naît et décède en 1873, puis la famille s’agrandit avec la naissance de Julien, en 1874.
Les journalistes écrivent que Jean Victor vit avec une autre femme dont il vient d’avoir un enfant… Impossible de trouver cette naissance sans connaître le nom de la maman. En effet, le Code civil du 14 ventôse an XII – 5 mars 1804 – promulgué le 24 du même mois – 15 mars 1804, indique à l’article 331 que les enfants nés hors mariage, autres que ceux nés d’un commerce incestueux ou adultérin, pourront être légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère […].

Léontine Emilie Alexandrine STADELHOFFER, comme l’a écrit un journaliste, est partie avec ses enfants, Juliette et Julien. Le 12 novembre 1889, elle accouche de Léontine Augustine Amélie déclarée à la mairie du 11ème par Charles Auguste COURVOISIER-CLÉMENT, qui se reconnaît être le père. Deux autres enfants sont déclarés dans les mêmes conditions : Marcel Auguste Léon, né et décédé en 1894, et Léontine Charlotte, née en 1895.
Jean Victor décède le 24 novembre 1903 à Paris, dans le 12ème arrondissement, et il est bien noté qu’il est époux de Léontine !

Le 15 décembre de l’année suivante, Léontine épouse le père de ses enfants, Charles Auguste COURVOISIER-CLÉMENT. Dans l’acte de mariage, il est bien écrit qu’elle est veuve de Jean Victor MENOT depuis le 25 novembre 1903. Nulle part, il est question des enfants nés illégitimement.
Le Code civil de 1804, dans son article 312, est très précis sur la filiation des enfants légitimes : « L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari« . Donc, légitimement et légalement, Léontine Augustine Amélie et sa sœur Léontine Charlotte auraient dû porter le nom de MENOT, tout comme l’enfant illégitime présumé de leur père ne porte pas le nom de MENOT…

Jean Victor connaissait-il l'existence de ces deux filles ? Avait-il intérêt, vu le personnage, a s'approprier le titre de père ?...
Source
- BnF – Code civil 1804
- Retronews – Journaux le Gaulois, la Gazette, le Voltaire et l’Univers – éditions du 24 avril 1881
- AD75 – état civil