Depuis Noël, la neige est là, l'école est fermée, il fait froid…
L’après-midi s’écoule doucement, même si Sébastien, le père de Mariette, arrive à occuper les enfants à la vannerie, ce n’est pas toute la journée et lorsqu’ils sont dans la maison, c’est la pagaille. Que de bruit ! Alors, la maman trouve d’autres occupations : Gabriel lit une histoire à ses frères et sœurs, ils sont là, assis devant la cheminée.
Cela lui permet de continuer à préparer ces couvertures chaudes qu’elle ira porter à son amie le 1er janvier. Marguerite a épousé Jean PATIN, en 1804, c’est ainsi qu’elle est venue à Moissy-Cramayel. Jean, lui, est de la commune, il connaît très bien Sébastien. Alors, les deux épouses se sont rapprochées. Que de peines depuis le début du mariage !
Marguerite a déjà eu trois enfants : Lazare, né et décédé en 1807, François, né en 1809 et décédé en 1811 et la petite Justine, née et décédée en 1810. Alors, lorsqu’elle a su qu’elle attendait un nouvel enfant, elle a eu peur : « A quoi cela sert-il de porter un enfant pendant si longtemps si ce n’est pas pour le garder ? ». Pourtant, un nouveau bébé va bientôt arriver, très bientôt. Marguerite est alitée, le médecin lui a demandé de se reposer. De toute façon, avec le froid qu’il y a dehors, que ferait-elle ?

Magdelaine a donc préparé un petit trousseau qui sera le cadeau de bienvenue. Elle a même demandé à Mariette de broder une petite pointe : des fleurs. La petite fille n’est pas sûre de son choix : elle aimerait une petite fille, mais si c’est un garçon, est-ce qu’il aimera ses fleurs. « Ne t’inquiète pas, lui explique sa maman, la broderie fera plaisir à Marguerite ! ». Cette pointe a aussi été l’occasion d’apprend à faire les jours ! Il en faut de la patience et Mariette est une petite fille… Mais le travail reste beau !
Il est temps de préparer le repas de demain, le premier jour de l’année doit être particulier. La maman sort les aliments qui confectionneront ce plat : de la basse côte, du lard, des pommes de terre, des poireaux, des carottes et du chou. Tous les légumes viennent du jardin. L’eau commence à chauffer dans le chaudron, pendant ce temps, il faut éplucher les légumes. La viande plongée dans l’eau froide prend des couleurs, l’eau est presque bouillonnante. Mariette aime regarder sa maman retirer l’écume du dessus : autant elle en retire, autant il y en a… C’est le moment d’ajouter les légumes et de poser le couvercle. Cela va mijoter une partie de la soirée.
Après avoir débarrassé les préparatifs du repas, Mariette et ses frères mettent la table. Le souper est toujours simple : la soupe, parfois simple bouillon où l’on trempe le pain dur, une fine tranche de lard et une pomme. La vaisselle faite, les enfants s’assoient, comme tous les soirs de l’hiver, et attendent que papa leur raconte une histoire. Ce soir, il leur parle de la Révolution, explique comment le peuple a pris les armes pour être mieux considérés, pour pouvoir mieux manger,… « Dis papa, tu as pris les armes aussi ? » demande Pierre. « J’avais 9 ans, tu penses bien que non » répond-il en souriant « Et mon père non plus ! Nous étions déjà trois enfants à nourrir, il fallait donc qu’il aille travailler à la ferme ! La révolte, c’était à la ville ! Ce qui a changé, c’est que Monsieur le Curé était celui qui nous guidait, qui gérait la commune. Et, du jour au lendemain, il a fallu une autre personne. Oh, elle a été élue par le peuple mais avant, jamais personne n’aurait imaginé qu’il puisse occupé un poste si important ! M. LHERMINOT a été désigné comme notre représentant, le maire quoi ! ».
Tout le monde sursaute : de lourds coups frappés à la porte, à cette heure-ci. Le père va ouvrir et voit son ami Jean affolé : « Il faut que Magdelaine vienne vite, Marguerite a pris froid et elle ne va pas bien ! » « Vas-y, dit Sébastien à son épouse « Je vais envoyer les enfants au lit et t’attendre.
Mariette ne peut s’empêcher de penser à la petite sœur qu’elle a tant attendue et qui est morte née l’année dernière. Est-ce que ce bébé là va pouvoir vivre ? Elle cache sa tête sous la couverture pour ne pas avoir froid et, surtout, pour ne pas montrer à ses frères qu’elle pleure… Tard dans la nuit, elle entend sa mère rentrer, elle ne peut comprendre ce que disent les parents car ils chuchotent, mais sa mère est là, elle peut dormir désormais !
« Taisez-vous, je veux encore dormir ! » Les garçons se chamaillent, mais Mariette est fatiguée. Il faut pourtant se lever. « Je vais aller voir Mamilou ce matin, tu veux bien maman ? – Oui, si tu te couvres bien ! » Mariette a de la chance, si ses parents ne sont pas riches, elle peut tout de même être chaudement vêtue et chaussée. Alors elle prend le chemin : le soleil est levé mais le vent est là, brrr, qu’il fait froid !
« Bonjour Mamilou, bonjour Papilou ! Aujourd’hui c’est le 1er janvier ! J’ai beau réfléchir, je ne vois pas ce que cela change. C’est important le 1er janvier ? » Papilou lui explique donc que le 1er janvier n’était plus le 1er janvier après la Révolution mais que cela lui faisait plaisir qu’il soit revenu. Est-ce important ? Il ne sait pas vraiment, tout ce qu’il peut dire, c’est qu’il va encore vieillir d’une année… Dans un grand éclat de rire Mariette lui dit qu’elle aussi va vieillir, pas autant que lui, mais tout de même !
Elle raconte aussi à Mamilou que sa maman est allée chez Marguerite hier soir, que Marguerite n’allait pas bien et qu’elle craignait pour le bébé. Alors, la grand-mère a pris sa petite fille sur les genoux et lui a expliqué que la vie est ainsi : parfois les gens vivent, parfois ils meurent. Personne ne sait pourquoi, personne ne sait combien de temps nous allons être là mais, ce qui est sûr, c’est qu’elle est heureuse d’avoir eu ses frères et sœurs, son mari, ses enfants et, maintenant, ses petits-enfants. « Un jour, c’est toi qui racontera tout ça à ta petite-fille. Lui parleras-tu de moi ? » D’un air espiègle Mariette répond que non, mais c’est sûr qu’elle parlera de Mamilou.
« Allez, il est temps que nous allions chez ta maman pour le repas. » Main dans la main, petite-fille et grands-parents bravent le froid pour la réunion familiale.
Hmmm, cela ne sent pas que la potée. Une bonne odeur de tarte aux pommes flatte les narines des arrivants ! La table est prête, tout le monde s’attable. Les adultes discutent et les enfants gloussent sous cape. Ils savent que l’après-midi ils vont aller avec leurs amis faire des batailles de boules de neiges, et qu’ils rentreront à la nuit tombée, fatigués, mais heureux. C’est ça un jour de fête !