L'hiver est toujours là ! Chaque matin, les champs sont tout blancs, sans aucune autres traces de celles des animaux qui ont osé braver le froid…
Mariette, bien emmitouflée, est sortie avec Jeanne. Elles ont les joues bien roses et le bout du nez tout rouge, mais rien ne les arrêtent : il faut aller voir l’eau glacée au ru ! Elles restent sur le chemin par peur de s’enfoncer voir peut-être même disparaître dans la neige.
Les petites filles parlent du curé qui a annoncé, très sérieusement, au prône de la dernière messe que le Pape Pie VII avait tout d’abord accepter les nouveaux accords avec l’Empereur, mais que tout aussi vite il avait renié lesdits accords. Il est donc encore prisonnier à Fontainebleau. Cette affaire-là occupe bien le pauvre curé et il ne pense plus à parler d’éducation des enfants…

Toutes à leurs papotages, Mariette et Jeanne n’avait pas remarqué ce vieux monsieur assis au bord du chemin avec quelque chose devant lui. Il a l’air de peindre. Curieuses, elles s’approchent sans faire de bruit pour ne pas le gêner.
- « Bonjour fillettes, vous osez sortir par ce froid ?
- Oui monsieur, nous aimons aller regarder la glace qui se forme au rû ! Mais vous, pourquoi êtes-vous là assis alors qu’il fait si froid ?
- Je suis invité au Château, chez Monsieur de Cramayel. Habituellement, je quitte Paris pour Barbizon, mais une invitation au château ne se refuse pas !
- C’est où Bar… ?
- Barbizon, pas très loin d’ici. Le village est occupé par quelques peintres comme moi et nous aimons peindre la nature. Alors, en ce jour de neige, quelle beauté !
- Comment vous appelez-vous ?
- Jacques-Louis David.
- Comment vous avez appris à peindre ?
- C’est une longue histoire. J’ai appris à l’âge de 16 ans et j’en ai 65…
Vous peignez toujours les champs couverts de neige ? »
Le peintre sourit à ce flot de questions amusantes et répond. « Non, je suis surtout connu pour mon tableau de l’Empereur appelé le Sacre de Napoléon. J’ai gagné un grand prix, celui de Rome et j’ai pu aller étudier la peinture en Italie, à la Villa Médicis…
- Ou là là, c’est loin l’Italie !
- Oui, mais j’y ai rencontré beaucoup d’artistes, aussi bien des peintres que des sculpteurs.
- Ben nous, on ne trouve pas que ce vous peignez est beau ! Il n’y a que du blanc et le champ est plus joli à regarder là.
- Vous avez sûrement raison…
- Au revoir monsieur. »
Mariette et Jeanne partent vite vers le rû et ne comprennent pas vraiment pourquoi ce monsieur est là, dans le froid, à peindre quelque chose qu’elles voient tous les jours depuis déjà plus d’un mois. De retour à la maison, Mariette veut raconter sa rencontre à ses parents et ses frères mais elle ne se rappelle plus le nom du monsieur.
- Si si, il a dit qu’il était connu, il peint d’habitude à Bar… oh, je ne me souviens plus non plus !
- Ne serait-ce pas Barbizon ? demande son père
- Ah oui, c’est bien là !
- Vous savez, il était bizarre à peindre le blanc du champ ! Mais il avait l’air gentil, les cheveux gris un peu bouclés sous son grand chapeau… »
Gabriel et ses deux frères rient beaucoup en se moquant de Mariette qui ne se souvient de rien ! Elle veut toujours raconter quelque chose mais ne se rappelle pas, alors, c’est bien compliqué de comprendre. Mais eux non plus ne connaissent pas Bar… quelque chose ! Pourtant, leur père dit que c’est à côté : c’est décidé, ils iront quand ils seront grands. Allez voir des gens qui peignent les champs ça doit être rigolo : pourquoi peindre ce qui est sous nos yeux toute l’année. Il y a vraiment des gens étranges !
Mariette, elle, se pose d’autres questions : si les filles ne vont pas à l’école, alors elles ne peignent pas non plus. Pourtant, elle a trouvé joli ce plateau avec plein de couleurs et de drôle de pinceaux. Voilà encore une activité qu’elle aimerait connaître, comme écrire ou lire…