Raoul Charles a été fusillé pour avoir bu un verre de trop, parlé haut et fort et dit ce qu'il pensait des "chefs" pendant la Guerre 1914-1918 !...
Raoul Charles naît le 12 septembre 1891 à Beaumont-du-Gâtinais en Seine-et-Marne, fils de Edouard, 22 ans, garçon boucher, et Marie Eugénie LELONG, 20 ans, domestique. Ses parents se marient trois mois plus tard. Toute la petite famille part s’installer à Epinal où résident déjà certains frères et sœur d’Edouard.
A Epinal naissent trois sœurs : Blanche, en 1893, Geneviève, en 1895 et Louise en 1896. Et la famille revient s’installer en Côte-d’Or, d’où est originaire le père, à Auxonne, précisément. Une dernière fille, Louise, vient agrandir la fratrie en 1897. Quelle belle famille ! Le destin vient terrasser Edouard, à l’âge de 34 ans, le 7 juillet 1903, la famille résidant à Dijon.
Marie Eugénie, veuve, va s’occuper de ses enfants, seule, puis rencontre François BOUHANS, poseur aux chemins de fer. Une petite Suzanne naît en 1908, et le couple régularise la situation en se mariant le 20 octobre 1908. Raoul Charles, de fils unique et responsable, de ses sœurs, voit son statut privilégié disparaître : une autre sœur et, surtout, un autre homme est entré dans sa famille. Comment l’adolescent a-t-il pu gérer cet instant particulier ? Comme beaucoup d’autres : par un comportement difficile.
C’est ainsi que dès 1909, Raoul Charles se retrouve confronté à la justice : deux mois de prison avec sursis pour abus de confiance ! Cette première peine ne l’a pas convaincu de rester dans le droit chemin et, le 7 février 1911, il est condamné, pour vol, à 3 mois et 1 jour de prison. Il effectue sa peine du 14 février au 8 juillet. A peine libéré, il est arrêté pour « vol de récoltes non détachées du sol » et retourne en prison du 21 août au 20 septembre de la même année.

C’est ainsi que, lorsqu’il aurait dû se présenter devant le Conseil de Révision pour le recrutement militaire de sa classe, entre février et avril 1911, Raoul Charles n’a pu se présenter puisqu’il était en prison. Il est donc sous le couvert de l’article 4 de la loi sur le recrutement du 16 juillet 1889 et entre dans la catégorie des exclus et est rattaché à la classe 1912 à l’issue de ses peines judiciaires.
Loin de ces tracas de justice et d’armée, à Dijon, le 30 septembre 1912, il épouse Léonie SONNOIS, 27 ans, ouvrière d’usine. Il est loin de penser à la guerre et à ses conséquences, mais il sait qu’il devra faire son service militaire.

Ayant des problèmes médicaux, il est classé dans le service auxiliaire puis, au titre de l’article 5 de la même loi, il est affecté au 5ème Bataillon d’Afrique à compter du 1er octobre 1913.
« Ceux qui ont été condamnés correctionnellement à trois mois de prison au moins pour […] délit de vol, escroquerie, abus de confiance […] sont incorporés dans les bataillons d’infanterie légère d’Afrique. »
Peu de mois après son arrivée au 5ème Bataillon, il est astreint à une peine de 4 jours de consigne pour « négligence dans son emploi de lampiste », deux mois plus tard, à nouveau quatre jours de consignes pour « ne pas avoir rendu compte au sergent major d’une distribution de pétrole faite huit jours auparavant ». Rien de bien grave en somme !…
A sa demande, il est classé dans le service armé et rejoint le 4ème Bataillon d’Afrique le 14 juin 1914. Après un cours passage au dépôt de Bernay, Raoul Charles est affecté à la 5ème Compagnie du 24ème Régiment d’Infanterie le 1er novembre 1914. Ce dernier régiment est stationné dans la zone de Cauroy, Hermonville et Villers-Franqueux, dans la Marne. Raoul Charles, arrivant de Tunis comme ses autres camarades de régiment, ont été saisi par le froid qui sévissait dans les tranchées. Mais son tempérament vif et bagarreur le poursuit : l’armée et la guerre n’ont pas calmé ses ardeurs de rébellion. Et tout bascule en ce 15 janvier 1915 à Bouvancourt, dans la Marne… Le soldat René MÉZIÈRES, témoin, raconte « Il était une heure. Le soldat CHENUT m’a demandé d’aller avec promener avec lui, me disant que nous n’irions pas loin.

En route, il m’a dit « allons donc dans un village » et nous sommes arrivés à Bouvancourt. Nous avons pris quatre litres de vin, ensuite nous en avons repris trois verres et nous avons acheté du chocolat et des gâteaux. Nous sommes rentrés au cantonnement à 4h15« . A la question « Le soldat CHENUT était-il ivre », le témoin répond sans hésitation « Oui il était ivre. » « Et vous ? – Moi, je n’avais rien du tout. » La suite est simple, le verbe haut, clamant qu’il n’y a pas besoin des officiers pour faire la guerre, Raoul Charles se fait remettre en place par son caporal qui lui ordonne de se taire en s’approchant, la riposte a été physique. Il lance deux coups de poings et un coup de crosse de fusil à l’encontre de son supérieur.
La guerre étant la guerre, les règles militaires étant celles d’un code datant de 1852, le caporal joue son rôle de chef et dénonce Raoul Charles CHENUT à l’autorité supérieure. Arrêté, ce dernier comparait devant le Conseil de Guerre permanent de la 6ème Division d’Infanterie le 21 janvier et déclare ne pas se rappeler des faits et que, s’il n’avait pas été ivre, il n’aurait jamais agi ainsi.
Le jugement est rendu le 29 janvier 1915, implacable, en s’appuyant sur les articles 135, 223, 224 et 135 du Code de Justice militaire et répond à deux accusations :
- voie de faits envers un supérieur à l’occasion du service,
- d’outrages par parole envers un supérieur à l’occasion du service.
Raoul Charles CHENUT est condamné à la peine de mort et est exécuté le 28 février 1915, à quinze heures, à la ferme Châlons-le-Verger, à Bouvancourt, dans la Marne. Il est âgé de 23 ans et laisse une veuve sans enfant.
Ce soldat était une forte tête et sa sortie enivrée a été très lourde de conséquences. Le code de justice militaire du 9 juin 1857 a été appliqué à la lettre…
Des nouvelles de Léonie SONNOIS, la veuve de Raoul Charles. Sans enfants, elle s’est remariée le 11 octobre 1924 avec Edme Charles BERRUELLE. Le couple n’a pas eu d’enfants et Léonie est décédée le 30 juillet 1927, à l’âge de 41 ans…
Cet article a été publié pour la première fois le 12 octobre 2016 sur le site Antequam de Canalblog
Comme le disait le général Bach, historien auteur de « fusillés pour l’exemple 1914/1915 et de justice militaire 1915/1916, ancien chef du service historique de l’armée de terre, rédacteur du rapport sur le centenaire remis au Président de la République en octobre 2013, membre du conseil scientifique de la mission centenaire, grand spécialiste des militaires français fusillés au cours du conflit 14/18 et pierre angulaire de Prisme 14/18, il faut revenir aux faits et les contextualiser.
Chenut, redouté de ses camarades pour ne pas dire plus (il nous menaçait, j’aurais été heureux de le voir quitter l’escouade, nous connaissons tous Chenut pour être un homme violent) , auteur de coups portés sur son caporal, a été condamné à mort pour des voies de fait. Pendant le conflit , 12 cas de voies de fait se sont soldés par un homicide que le général Bach assimilait aux crimes punis par le code pénal. Vingt autres cas sont des tentatives d’homicide. Contextualiser ce cas, c’est le remettre dans la période de l’exceptionnalité du recours en grâce où le recours en révision était suspendu , où le recours en grâce ne dépendait plus du Président de la République mais de l’officier qui a ordonné la mise en jugement. Dans ce cas, cet officier a d’ailleurs formulé une demande de recours en grâce que le Président de la République a refusé car selon les commentaires sur le code de justice militaire de 1858 de Victor Foucher , conseiller à la Cour de cassation, une voie de fait est un acte d’insubordination que la loi militaire entend punir et qui domine le coup ou l’assassinat porté par l’auteur des faits. Notre article d’octobre 2023 évoque les voies de fait et le cas Chenut.
nota: le code justice militaire en vigueur en août 1914 est celui de 1875.
Avec tout le respect que je dois à un général, de part son grade, vous ne m’empêcherez pas d’avoir ma propre opinion. Vous semblez penser que je n’ai pas lu la procédure de jugement de ce dossier mais je vous assure que je les ai tous bien lus ! Dans votre article d’octobre 2023, vous ne retenez que les charges. Comment analysez-vous la réponse du soldat Mézières, celui qui a partagé 4 litres de vin plus trois verres avec Chenut ?
« 𝐄𝐭 𝐯𝐨𝐮𝐬 ? 𝐌𝐨𝐢, 𝐣𝐞 𝐧’𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐫𝐢𝐞𝐧 𝐝𝐮 𝐭𝐨𝐮𝐭 » 𝐑𝐞𝐧𝐞́ 𝐌𝐞́𝐳𝐢𝐞̀𝐫𝐞𝐬
Chenut était ivre mais pas lui ? J’analyserais cette réponse comme la crainte de représailles personnelles. 𝑆𝑖 𝑗𝑒 𝑑𝑖𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑚𝑜𝑖 𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖 𝑗’𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑠 𝑖𝑣𝑟𝑒, 𝑗𝑒 𝑝𝑒𝑢𝑥 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒́ 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑜𝑛𝑠𝑎𝑏𝑙𝑒… ou toute autre interprétation…
Tous les autres soldats cités comme témoins ne pouvaient aller contre ce caporal Huet. D’ailleurs, s’il clame que Chenut était jaloux, lui-même n’avait-il pas l’égo tel que de prouver à Chenut que lui seul était au commandement : règlement de compte entre les deux hommes ?
Vous omettez de parler de la déclaration de Fournier, commandant la 5ème Compagnie du 24ème R.I. « […] 𝐋𝐞 𝐬𝐨𝐥𝐝𝐚𝐭 𝐂𝐡𝐞𝐧𝐮𝐭 𝐞𝐬𝐭 𝐚𝐫𝐫𝐢𝐯𝐞́ 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝟓𝐞̀𝐦𝐞 𝐂𝐢𝐞 𝐥𝐞 𝟏𝐞𝐫 𝐧𝐨𝐯𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝟏𝟗𝟏𝟓, 𝐯𝐞𝐧𝐚𝐧𝐭 𝐝𝐮 𝐝𝐞́𝐩𝐨̂𝐭 𝐝𝐞 𝐁𝐞𝐫𝐧𝐚𝐲. 𝐃𝐞𝐩𝐮𝐢𝐬 𝐜𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐝𝐚𝐭𝐞 𝐥𝐚 𝟓𝐞̀𝐦𝐞 𝐂𝐢𝐞 𝐧’𝐚 𝐣𝐚𝐦𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐫𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐫𝐭 𝐚̀ 𝐮𝐧 𝐞𝐧𝐠𝐚𝐠𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 . 𝐋𝐚 𝐜𝐨𝐧𝐝𝐮𝐢𝐭𝐞 𝐝𝐮 𝐬𝐨𝐥𝐝𝐚𝐭 𝐂𝐡𝐞𝐧𝐮𝐭 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐟𝐫𝐨𝐧𝐭 𝐧’𝐚 𝐩𝐚𝐬 𝐝𝐨𝐧𝐧𝐞́ 𝐥𝐢𝐞𝐮 𝐚̀ 𝐜𝐫𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 » S’il avait dû se plaindre de Chenut, il en avait l’occasion.
Mon étude du cas Chenut est une étude humaine, de généalogie familiale, et, oui, je ne peux que conclure que s’il n’avait pas été ivre, il n’aurait pas été fusillé. L’alcool a entraîné les verbes hauts puis les échanges physiques. D’ailleurs, qui avait le fusil dont il est question : Chenut ou Huet ? Avez-vous une autre raison ?
Monsieur, je reviens sur la précision que vous avez cru bon d’apporter en écrivant que le Code de justice militaire applicable en 1914 était celui de 1875. A ma connaissance, c’est bien celui du 9 juin 1857, dont certains articles ont été modifiés par la loi du 18 mai 1875, renforcé par la loi du 18 novembre 1875, coordonnant les lois des 27 juillet 1872, 24 juillet 1873, 13 mars, 19 mars et 6 novembre 1875 avec ledit Code de justice militaire.
Les articles modifiés concernés sont les articles 2, 7, 13, 18, 33, 34, 35, 37, 42, 44, 45, 46, 48, 49, 50, 70, 71, 81, 85, 109, 156, 230, 231, 234 et 235.
S’il y a eu un autre Code de justice militaire, pouvez-vous me donner la date exacte de ce nouveau Code ?