Il est parfois difficile de nommer ou de ne pas nommer les personnages d'un article. J'ai longtemps hésité pour Henri Ernest. Devais-je vraiment donner son identité ? En première réflexion, je me suis dit que non. L'article pouvait être rédigé sans entrer dans ces détails-là. Puis, j'ai pris la décision de le citer, pas pour qu'il soit montrer du doigt mais simplement pour montrer que, peu importe ce qu'il a fait, peu importe le résultat : nous n'avons pas à juger ! Ce qui est de l'Histoire doit rester à l'Histoire. De toute façon, le dossier est public, vous pouvez tous aller lire l'intégralité des 354 pages du dossier sur le site de Mémoire des Hommes…
Il est évident que Henri Ernest UDRON ne voulait pas faire la guerre mais ne voulait pas mourir non plus. Il ne désirait recevoir aucune balle, ni Allemande, ni Française. Comme beaucoup de ces hommes partis en août 1914, il était persuadé que la guerre serait courte : « Nous allons gagné et à Noël nous serons chez nous ! » Sauf que…
Le 13 septembre 1914, Henri Ernest, âgé de vingt-cinq ans, est affecté au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale. Ce dernier échange quelques coups de canon avec l’arrière-garde allemande. A 22 heures, la Brigade coloniale entre à Braux-Sainte-Cohière que vient de quitter l’ennemi. Henri Ernest ne couche dans la grange occupée par son escouade, mais dans un lit de l’écurie attenante. A 3 heures du matin, le régiment repart à la poursuite de l’ennemi vers Berzieux. Le soldat UDRON prétend ne rien a voir entendu mais, à son réveil, il s’est précipité à travers champs vers Berzieux, qui était déjà parti vers Ville-sur-Tourbe. Il poursuit sa route pour retrouver ses camarades mais se trompe de chemin et arrive à Courtémont. Le 14 au matin, la Brigade coloniale combat et fait des prisonniers, et, à deux kilomètres de Ville-sur-Tourbe, elle est accueillie par un tir d’artillerie lourde, si bien qu’en réserve, le bataillon de UDRON était à portée de tir…
Croisant des coloniaux stationnés dans le village de Courtémont, Henri Ernest apprend qu’ils partent relever son propre régiment. C’est ainsi que quelques jours plus tard, il rejoint, enfin, le 2ème Colonial. Pour autant, et par crainte de condamnations, il ne se présente pas à ses chefs et commence sa vie errante. Cette errance qui s’arrête le 24 janvier 1915, jour où tout se déclenche !
L’enquête commence le 24 janvier 1915
Un soldat d’Infanterie Colonial s’est rendu coupable, au cantonnement de Maffrécourt, de vol de bougies et de victuailles. Victime d’une plainte auprès du Commandant de la Compagnie où avait lieu le larcin, le soldat profite de l’absence du plaignant pour quitter les lieux, abandonnant trois lettres qu’il écrivait. Les lettres ont trois adresses d’expéditeur différentes et sont toutes signées du patronyme FROTTIN. Or, ledit FROTTIN est dans les tranchées depuis trois jours.
Après enquête menée, il s’agirait de UDRON, le soldat BAGEREAU, du 3ème Régiment, parlefrenier-ordonannce, l’a connu il y a quelques années au 7ème Colonial. Il l’a perdu de vue lorsque UDRON est parti au Maroc. Une autre déposition, celle du Sergent SIMON est claire : c’est bien UDRON. Seulement, ce sont les deux seuls à dire que ce soldat pourrait s’appeler UDRON ; par contre, leurs signalements respectifs correspondent bien au soldat recherché.
D’autres soldats, trois ou quatre, affirment que le signalement correspond à celui d’un nommé Le ROZIC.
Bref, le soldat, recherché, s’est fait passer pour un motocycliste, pour un cycliste, pour ordonnance. Il allait très souvent à Sainte-Menehould, Valmy, La Neuville-au-Pont. Il faisait des achats qu’il revendait à ses camarades : crayons, glaces, victuailles, bougies, etc. Il couchait tantôt dans un cantonnement, tantôt dans un autre. Il fréquentait les habitants de plusieurs fermes, mangeant tantôt chez les uns, tantôt chez les autres.
L’enquête a aussi conclu qu’il allait souvent chez Mme MURIET à Courtémont, et chez Mme GALICHET à Valmy. Le ROUZIC se dit de Nancy mais aussi breton. Il aurait voyagé dans la région occupée aujourd’hui par les troupes, et commerçait en bijouterie-orfèvrerie. Il connaît bien la région et écrit souvent à M. et Mme CARLU à Chavigny, et au Comte de LUDRE à Messeim.
Le soldat recherché – Le LOIZIC ou UDRON – ne portait pas toujours les mêmes habits militaires : tantôt artilleur, tantôt fantassins.
A Maffrécourt, il échangeait régulièrement avec des artilleurs Auguste SALLELLES, DEBERT et LE CORVEC de la 6ème Batterie du 3ème Régiment d’Artillerie Coloniale.
L’enquête conclut à ce que UDRON-LE ROUZIC soit un déserteur du 2ème Colonial pouvant avoir des relations avec l’ennemi.
Témoignage de Henri Ernest UDRON
Il reconnaît avoir porté plusieurs noms : Le ROIZIC, PINEAU, Roger WAN. Lors de son arrestation, il était en possession de divers documents : le livret militaire de Jean Alphonse PINEAU, un calendrier militaire du sergent-chef Paul GIRARDOT, d’un carnet de notes de Roger WAN, … Dans ce carnet, sont notés le nombre d’obus tombés dans les différents lieux où WAN se déplaçait : c’est ce qui a pu laisser croire que je suis un espion.
Il ajoute même « Je suis un déserteur et un fainéant, mais je ne suis pas un espion. Je n’ai jamais donné mon pays aux Allemands qui nous font tant souffrir. Je suis orphelin de père et de mère, mon père, verrier, paralysé, est mort lorsque que j’avais treize ans. J’ai été verrier, puis mineur à Reims, dans le Pas-de-Calais et à Nancy. Je n’ai pas été condamné dans la vie civile.«
Le 17 mars 1909, il s’engage au 1er Régiment de Zouaves et encours quelques punitions. Ces à cause de ces punitions qu’il rengage au titre du 7ème Régiment d’Infanterie Colonial pour cinq ans. Il est encore puni. Le 30 avril 1911, il part pour le Maroc et fait partie des troupes qui combattent. Il contracte la fièvre coloniale et rentre à Marseille avec son régiment. Il est en congé trois mois mais ne rentre pas au régiment de suite. Les vingt jours de retard lui valent une condamnation de 75 jours de prison avec sursis pour désertion. Affecté au 1er Colonial à Nancy, il est de nouveau déserteur, suite à une permission cette fois. Il écope d’une peine de six mois de prison. Devant rejoindre le 2ème Colonial peut avant la guerre, sorti en ville, il rejoint sa compagnie au nord de Stenay… treize jours plus tard ! Après la bataille de Beaumont, le 2 septembre 1914, son régiment battant en retraite et ayant mal aux pieds, il mont à bord d’une voiture du génie… Il rejoint son régiment à Suippes, trois jours plus tard.
Le 11 mars 1915, à la ferme de Pont-à-l’Ille, Henri Ernest UDRON est arrêté par la prévôté du Quartier Général du 32ème Corps d’Armée. Il déclaré être né à La Rivière Salée, en Martinique, simplement parce qu’il a entendu ce nom-là prononcé par des camarades. Il dit s’appeler Roger WAN parce qu’il a trouvé des cartes postales au nom de ce soldat, originaire de La Rivière Salée… Il dit qu’il a été placé à l’âge de douze comme domestique de ferme à Buenos-Aires… Après avoir cherché des renseignements sur ce Roger WAN et avoir convaincu Henri Ernest de mensonge, ce dernier décide de parler au Chef d’Escadron et c’est à lui qu’il donne sa véritable identité.
Le dossier est rempli de pages et de pages de témoignage tous aussi divers que variés. Tous concourent au fait que Henri Ernest UDRON ne participait pas la guerre, qu’il vivait en marge de la guerre.
L’instruction de l’affaire se poursuit et Henri Ernest UDRON va être poursuivi pour :
- Abandon de poste en présence de l’ennemi le 13 septembre 1914 : n’a pas suivi son régiment qui se dirigeait vers l’ennemi dans le direction de Berzieux et Ville-sur-Tourbe,
- Le même jour, a pris et retenu sans ordres ni motifs légitimes, le commandement d’un poste qu’il a constitué à la Ferme de Venise, près de La Neuville-au-Pont. Il s’est auto promu au grade de sergent-chef.
- L’accusation d’espionnage n’est pas retenue.
Le 23 mars 1915, après une longue, très longue enquête, Henri Ernest UDRON est assigné à comparaître le 26 mars suivant devant le Conseil de Guerre au Quartier Général de la IVème Armée. Il n’y a aucun doute possible quant à l’issue de ce jugement. Henri Ernest UDRON est condamné à la peine de mort le 26 mars 1915 et est exécuté le lendemain.
Cette histoire est incroyable !... Cet homme me semble plutôt mythomane, fabulateur. Si vraiment il avait voulu déserter, pourquoi est-il resté dans les environs de son régiment ?... Il ne me donne pas l'impression d'avoir eu "toute sa tête". Il n'en reste pas moins que la loi est la loi…
Cet article a été publié pour la première fois sur le site de Canalblog le 24 novembre 2018.
Face à ses convictions, on a toujours le choix. Mais certains sont plus difficiles que d’autres et certains sont aussi malheureux.